Taille et copeaux en petit comité
L'automne arrive... Les feuilles jaunissent et emplissent le potager, qui lui se vide progressivement...
C'est le moment de tailler !
Alors, soyons bien clair, car j'entends déjà les cris d'orfraie des partisan·es de la Sainte Catherine ou bien ceux, plus mesurés, des observateur·ices avisés de la chute totale des feuilles :
il est effectivement physiologiquement plus respectueux pour le végétal de tailler, couper, scier une fois les feuilles au sol et l'arbre en dormance pour l'hiver.
On permet alors à l'arbre de récupérer une bonne partie des minéraux et protéines investies dans les feuilles (d'où leur décoloration ; les arbres sont de vrais recycleurs !) et ainsi de stocker davantage de réserves pour le réveil printanier. En procédant ainsi, on s'assure de leur vigueur future.
Oui, mais...
Tout d'abord, je ne suis disponible que pendant les vacances scolaires pour animer les chantiers participatifs, ce qui coupe court à tout dilemme ("et les vacances de Noël alors ?" - "Personne ne viendrait, patate !) D'autre part, il existe une pratique dite de "taille en vert" (notamment dans la vigne) qui consiste à tailler les végétaux alors qu'ils ont encore leurs feuilles, le plus souvent en été. Cela diminue la vigueur de l'arbre et donc la pousse de bois, là où l'on souhaite justement limiter la repousse ou favoriser la production de fruits. Donc, il existe des cas où la taille en vert est pertinente, notamment pour les arbres fruitiers et les haies dont on souhaite limiter la vigueur de la repousse. Mais nous sommes d'accord, cette taille répond à des exigences humaines et non à la logique du végétal.
J'ai également revu récemment ma vision de la taille à la lecture du livre de Karine Marsilly, une arboriste grimpeuse qui a passé sa vie à monter dans les arbres pour y effectuer une taille douce respectueuse de la physionomie et du fonctionnement du ligneux. Elle prône une taille en lune descendante (et décroissante si possible !) D'après son expérience, cela limite la réaction de pousse de rejets de l'arbre et améliore la cicatrisation. En effet, après la coupe d'une branche, l'arbre est stressé et réagit en tentant de reconstruire la branche perdue (car le système racinaire correspondant est toujours présent, lui, et cherche à reconstituer le canal de sève qu'il alimentait). Résultat, une coupe trop drastique stimule la repousse… Cette réaction peut être utile si l'on cherche à produire du bois, pour en faire du bois de chauffe ou du broyat par exemple ; c'est le principe des trognes ou des ragosses, qui consistent à couper toutes les branches d'un arbre pour stimuler sa production de bois. Les anciens le savaient bien et en jouaient pour alimenter leur four à pain, produire du bois d’œuvre, etc. À l'inverse, si l'on souhaite limiter la repousse, comme dans le cas de la taille d'une haie, mieux vaut tailler en hiver et en lune descendante (la sève est au plus bas dans les racines). À l'avenir, c'est donc la lune que je regarderai en priorité avant de me décider à tailler :)
Mais trêve de théorie, parlons de ce chantier !
Nous étions donc en petit comité cette fois-ci, avec une seule représentante de la famille Henry qui est plus est... La mère avait un genou à opérer, le père une mère à assister, la sœur des vacances à savourer, le frère des études à réviser. Qu'il en soit ainsi, nous taillerons donc en leur nom ! Et le soleil nous bénit toute la semaine pour nous encourager (vous avez déjà senti les gouttes de pluie froide couler le long de vos bras quand vous les levez pour attendre des branches ?! Brrrr...)
Cette année, tailler répondait également à un objectif nouveau : celui d'ouvrir la vue vers la vallée ! Parce que les arbres, on les aime bien, mais on adore aussi admirer ce qu'il y a derrière… Première tentative donc d'ouverture du paysage, qui s'est soldée, suite au dysfonctionnement de la tronçonneuse, par l'abattage À LA MAIN d'un énorme bosquet de noisetiers et d'un jeune chêne. Mérite particulier décerné à Martine, qui a validé haut la main son diplôme d'élagueuse à l'égoïne !
Le chantier taille s'est également déroulé dans le verger cette
fois-ci, non pas pour tailler les fruitiers, que je préfèrerai
guider, mais
pour transformer l'armée de genêts à balais ayant poussé
spontanément en un broyat azoté, délice du potager. Les genêts à
balais font partie de la famille des légumineuses et captent donc
l'azote de l'air grâce à une symbiose réalisée avec des
bactéries sur ses racines. Nous connaissons bien les légumineuses
potagères, moins bien les arbustes et arbres légumineux, dont le
genêt et le robinier faux-acacia (tous deux présents sur le
terrain) font partie. Le verger nous sert donc également de
pépinière à amendement vivant ! Pour le bonheur du sol, de nos yeux et des insectes : au printemps, le verger est
une constellation de fleurs jaune vif où bourdonnent une multitude
de pollinisateurs… Pour permettre aux genêts de pousser, il n'y
a que moi qui suis habilitée à tondre dans le verger ; je
valse autour des jeunes plants timides, qui très vite se
transforment en buissons géants ! Lucas, ne trouvant cette
année que peu de ronces à se mettre sous la dent, aura été
l'artisan particulier du sacrifice de nos genêts, qui commençaient
d'ailleurs à faire un peu trop d'ombre aux fruitiers… mais
c'est pour la bonne cause !
Après la taille, le broyage ! Afin d'optimiser le temps de location disponible, l'équipe n'a pas hésité à s'embourgeoiser un tantinet en brunchant à 11h pour attaquer dès l'arrivée du broyeur. Cette année, bénéficiant de l'expérience de l'année passée, les branches étaient rangées dans le même sens, feuillage côté jardin, si bien que les tirer une à une vers la gueule béante de l'engin fut une vraie partie de plaisir ! Après un bourrage vite réglé, Julie et moi avons pris notre rythme de croisière dans le bruit et les vapeurs pétrolières, alternant genêts, feuillus et joncs de la mare (oui, oui, nous avons aussi nettoyé en partie la mare !) Certain.es sciaient les branches les plus grosses pour en faire du bois de chauffe tandis que d'autres continuaient à tailler ici et là pour alimenter cette machine si gourmande.
Savourant le silence, j'attelle à nouveau le broyeur à la voiture pour le ramener d'où il vient. La place est libre pour l'épandage ! Deux superbes tas d'or vert trônent là où vrombissait le broyeur ; ils donneront naissance à un tapis moelleux de broyat dans les allées du potager, limitant la repousse des adventices qui envahissent les cultures par les côtés et disséminent leurs graines au milieu des carottes et des radis. Ce tapis, outre nous donner la sensation de circuler dans notre salon, va en se décomposant, enrichir la terre des allées. « Quel intérêt ?, me direz-vous. On ne cultive pas dans les allées, alors pourquoi les amender ? » Car si sous nos pieds, la terre semble ferme, elle est en réalité brassée en continu par une myriade d'insectes et de vers de terre. Si bien que le sous-sol des allées se déplace sous les cultures et inversement ; nos frontières aériennes sont inexistantes pour le peuple souterrain… Dans une certaine mesure, la fertilité circule, mais cette manière de faire permet aussi de créer du terreau dans les allées, que nous pourrons déplacer dans les planches de culture une fois bien décomposé. Année après année, nous creuserons les allées et ajouterons aux cultures, créant ainsi buttes et chemins creux propices à la circulation de l'eau et confortables pour le dos du jardinier ! Voilà comment, en tirant partie des « déchets verts », nous les transformons en un sol fertile en mesure de nous nourrir :) Que vive le cycle de la vie !
Pour en finir avec le potager, Julie et Martine ont réparti le reste de paille sur certaines planches et Pascale, Martine et Lucas se sont attelés au remplissage des bacs de matière carbonée des composts de cuisine et des toilettes sèches. Feuilles d'arbres et de vignes vierge vinrent remplir encore, et encore… et encore ! les sacs de chantier, et iels eurent beau les déverser dans les bacs, tasser, puis en ajouter, il se produisit un phénomène étrange : les bacs, jamais ne se remplirent ! Les trois camarades, ayant pourtant écumé toutes les feuilles disponibles (hormis celles de châtaignier, car les bogues mêlées sont de grandes ennemies de nos mains innocentes…!) ne purent se réjouir de la tâche accomplie, tant ce tonneau des Danaïdes leur donna l'impression de n'avoir pas agi. Bien sûr il n'en est rien, et je sais que du carbone compressé se cache dans ces bacs et viendra, ce pendant bien longtemps, équilibrer heureusement nos apports en matière azotée.
Le traditionnel rangement de la flexyourte eut bien lieu lui aussi ! Flexyourte qui aura bien besoin d'une petite rénovation d'ici peu...
Et voici le chantier terminé ! Grâce à Lucas, les outils dormiront propres et graissés dans l'atelier jusqu'au retour des beaux jours...
À bientôt pour de nouveaux chantiers !